Portrait - Sandra Mézière
Sandra Mézière est journaliste de cinéma – elle a notamment créé en 2003 le blog Inthemoodforcinema – et a été membre de jurys de nombreux festivals. Sandra a écrit une cinquantaine de nouvelles et deux d'entre elles ont été publiées en 2022 aux éditions J’ai Lu. Son premier roman, L'amor dans l’âme, est paru aux éditions du 38.
Vous présentez actuellement quatres manuscrits sur Édith & Nous, pouvez-vous nous en parler ?
Mes écrits sont toujours guidés par le souhait ardent de susciter de l’émotion, de ciseler des intrigues sinueuses et de donner une voix à des personnages ébréchés. C’est encore ce à quoi j’aspire avec ces quatre manuscrits bien qu’ils soient très différents les uns des autres.
Mon manuscrit le plus récent, intitulé La Symphonie des rêves, est aussi le plus dense. Il raconte les destins croisés de quatre femmes d'âges et milieux hétéroclites sur des décennies et dans plusieurs pays. Le roman commence par le récit de leurs histoires d'amour qui naissent dans leur jeunesse. Ces amours, absolues, sont suscitées et exaltées par la musique qui est le fil conducteur du roman. Ces secrets du passé vont resurgir et les réunir des années plus tard, dans le cadre d’un festival de cinéma et de musiques de films. Chacune des histoires de ces quatre femmes très différentes incarne l’idée qu’il n’est jamais trop tard pour s’évader des cases dans lesquelles le destin ou la société nous claquemurent et pour assumer ses rêves, malgré les blessures qui entaillent l’existence. Les mouvements qui composent cette symphonie sont émotionnels et j’ai essayé de construire ce roman comme un voyage enfiévré de la passion, amoureuse et artistique, qu’il relate et exalte.
Deux des romans que je présente, Jeux d’enfants et Les Embrasés, ont été finalistes de concours d’écriture.
Le premier a la particularité d’être une mise en abyme avec un roman dans le roman dont la quatrième de couverture est la suivante : « La vie est un jeu. Il nous appartient d’écrire le personnage que nous voulons être aux yeux des autres. Comme au cinéma. » Son auteur disparaît mystérieusement en mer Ionienne. Mais peut-on croire à la mort de celui qui encourage ainsi chacun à être le scénariste du film de sa vie ? Jeux d’enfants est un roman labyrinthique dans lequel fiction et réalité s’entrecroisent et se confondent pour faire tomber les masques, pour dévoiler la réalité des êtres derrière les personnages qu’ils se sont construits.
Quant au roman Les Embrasés, il s’agit d’une histoire d’amour incandescente teintée de suspense et de manipulation, une ode au pouvoir de l'imaginaire qui se déroule en Grèce, à Athènes et dans les Cyclades, en plein été caniculaire. C'est au crépuscule de l'enfance, quand désirs et bleus à l'âme s'esquissent et se masquent que se blottissent les secrets des personnages qu'un embrasement va réunir… L’enfance a d’ailleurs une place centrale dans chacun de mes récits.
Enfin, L’amor dans l’âme est un roman qui fut publié en 2016 (à compte d’éditeur) que je cherche à faire rééditer. Il se déroule en grande partie dans le cadre du Festival de Cannes 2014. Une actrice y est retrouvée morte dans la chambre d'un palace de la Croisette. Un meurtre, en apparence. En réalité, l’épilogue d’un amour fou condamné par ce théâtre des vanités, celui de deux âmes balafrées d’un deuil impossible. Blanche et Julien, épris d’absolu, vont ainsi se croiser et se manquer au fil des ans et festivals de cinéma. Jusqu'à la mise en scène de cette vengeance retorse.
Vous êtes journaliste et critique de cinéma, comment cette passion dialogue-t-elle avec vos différents romans ?
Mes deux passions, l’écriture et le cinéma, sont d’autant plus imbriquées que c’est l’écriture qui m’a permis d’en venir au cinéma. Je ne me considère pas forcément comme critique, mais plutôt comme une passionnée qui veut défendre cet art magnifique. Il faudrait inventer une expression. « Enthousiaste du cinéma » peut-être ? Écrire sur le cinéma fut au départ un loisir pour me distraire de mes études (droit, Sciences politiques à ce moment-là). Je m’amusais à tenter des concours (souvent d’écriture de lettres de motivation ou critiques de films), nombreux à l’époque, qui permettaient d’intégrer des jurys de festivals de cinéma. J’ai ainsi été sélectionnée une dizaine de fois. Dès le début des années 2000, j’ai donc entrepris l’écriture d’un blog, Inthemoodforcinema.com, pour partager cette passion et ces singulières expériences, sous forme de récits. Cela a marché au-delà de mes espérances et cela m’a permis de continuer à couvrir les festivals de cinéma pour mon blog et pour d’autres médias.
J’ai alors réalisé que ces festivals recelaient un formidable potentiel romanesque. J’y avais observé et vécu tant de moments irréels ! Un deuil a déclenché l’écriture de mon roman L’amor dans l’âme et l’envie viscérale de confronter cela, le deuil indicible, au bal des orgueilleux qu’est, aussi, un festival de cinéma. Ces festivals ont également servi de cadre à mon recueil de 16 nouvelles, Les illusions parallèles.
Il est en revanche très important pour moi que le style ne soit pas cinématographique. La forme compte ainsi autant que le fond, et la musique des phrases m’importe beaucoup. C’est formidable de changer ou provoquer un sens ou une émotion en déplaçant une virgule, par un oxymore, etc. Il peut m’arriver de rester un long moment devant une phrase, à la tordre pour obtenir la « note » la plus juste, pertinente ou même dissonante.
Quel est votre parcours d'autrice ?
Mon rêve a toujours été de devenir romancière ! Je me souviens l’avoir confié à mon journal intime quand je n’étais encore qu’une écolière, je ne devais pas avoir dix ans. Mais il m’a fallu beaucoup de temps pour oser l’affirmer. Très tôt, j’ai lu et dévoré Balzac, Flaubert, Stendhal, Sagan… De cette passion de l’enfance pour la littérature est née l’envie viscérale d’écrire mais ces prestigieuses références ont aussi impliqué une exigence parfois écrasante.
Les concours d’écriture de nouvelles ont été un bon moyen de me rassurer (un peu). J’en ai remporté une vingtaine, plus récemment le Prix de la nouvelle Alain Spiess 2020, plusieurs grands prix chez Short Édition, ou encore le Prix Nouveaux Talents des éditions J’ai Lu 2019. Toutes ces nouvelles ont été publiées en recueils. Le Prix Nouveaux Talents m’a ensuite permis d’être publiée dans trois recueils collectifs des éditions J’ai Lu, en 2019 puis en 2022, pour deux textes de commande. J’ai écrit une cinquantaine de nouvelles.
Concernant les romans, après deux manuscrits publiés en numérique (toujours à compte d’éditeur), mon roman L’amor dans l’âme a été publié par Les éditions du 38, l’éditeur qui a également publié mon recueil de 16 nouvelles sur le cinéma Les illusions parallèles.
Je continue à tenter les concours d’écriture de nouvelles. Je viens d’ailleurs d’en remporter un sur le thème de la résilience. Ces concours me permettent de terrasser les doutes – un temps, du moins ! – (non sur ma passion mais sur ma légitimité à écrire) qui reviennent toujours au galop.
Je viens aussi de créer un podcast (aussi intitulé In the mood for cinema) sur lequel j’ai enregistré quelques-uns de mes textes. En ce moment, je me délecte à écrire un roman noir que je présenterai aussi bientôt sur Édith & Nous.
Avez-vous des rituels d'écriture ?
J’écris tous les jours, non par obligation, mais parce que l’écriture est vitale pour moi.
Ensuite, pour écrire, j’ai besoin d’être isolée même si les idées surgissent souvent à des moments impromptus, la nuit ou dans le tumulte de la journée. Lorsque j’écris, je suis dans un ailleurs invulnérable qui rend totalement inaudible et invisible ce qui se déroule autour de moi. Pour écrire, il faut aussi, je crois, être curieux : de la vie, des autres, et des textes de différents auteurs donc les périodes pendant lesquelles j’écris un roman sont aussi celles où je lis le plus.
Il m’arrive aussi souvent d’écouter de la musique juste avant de commencer l’écriture pour me plonger dans une atmosphère particulière, a fortiori pour La Symphonie des rêves dont la musique est la thématique centrale.
En amont, je travaille beaucoup mes personnages. Qu’ils échappent aux clichés est essentiel pour moi. Je compile des éléments qui ne seront pas forcément présents dans le roman, sur leur parcours, leur enfance. Je rédige aussi des fiches avec des phrases, des dialogues ou des idées éparses. Je connais toujours la fin de la nouvelle ou du roman mais pas forcément la trajectoire qui y mènera. Un peu comme si j’allais entreprendre un voyage en connaissant la destination mais non les étapes qui y conduisent pour conserver le plaisir de la découverte. J’adore ce moment où le périple prend un virage que je n’avais pas prévu, où les personnages semblent posséder leur existence propre. C’est vraiment une sensation jubilatoire ! Je sais que cela peut sembler insensé à qui n’écrit pas. Il y a une forme de folie (douce ?) sans doute dans l’écriture…
Pour Jeux d’enfants et La Symphonie des rêves qui sont des romans qui entrecroisent de nombreux destins sur de longues périodes, écrire un plan était cependant indispensable. J’envisage vraiment l’écriture comme un travail pour lequel je m’impose une certaine discipline mais un travail qui doit aussi rester un plaisir pour être efficace !
Qu'attendez-vous du prochain éditeur qui vous publiera ?
Ce travail de collaboration avec l’éditeur est primordial pour moi. Il faut que cela soit une relation d’écoute, d’échanges mais aussi de confiance mutuelle. Le roman est toujours forcément perfectible. Mes précédentes expériences auront de toute façon été enrichissantes pour m’avoir appris cela. J’attends aussi qu’elle ou il ne recherche pas forcément la fin heureuse ou à enfermer ses auteurs dans un genre, ou à édulcorer ou éliminer les éléments plus sombres ou complexes. Mes textes présentent la particularité d’être aux frontières des genres. C’est bien parfois de déborder des cases…comme dans la vie, non ? J’espère donc trouver une éditrice ou un éditeur qui recherche cela, et surtout qui ait un coup de cœur ou de foudre parce que tout cela, comme tout ou presque pour moi, est d’abord affaire de passions. Et enfin si l’éditrice ou l’éditeur aime le cinéma, nous sommes « condamnés » à nous entendre !