Écrire avec l’intuition ou la structure ?
Une histoire s’est invitée en vous et vous ne savez pas comment la dérouler ? Vous avez votre livre en tête, encore flou, mais les contours se dessinent peu à peu ? Vous repoussez l’étape cruciale, celle qui consiste à… écrire ? Avant de vous lancer dans la grande aventure de la fiction, une première question à se poser peut vous être bien utile pour la suite : à quelle école l’auteur en vous appartient-il ? L’école de l’intuition ou celle de la structure ? Pour le savoir, voici un petit aperçu (non exhaustif) des nombreuses possibilités qui s’offrent à vous.
Les contraintes, les meilleures alliées de la créativité
Si vous êtes un plotter, autrement dit un planificateur, qui aime la structure, avancer à l’aveuglette n’est pas votre tasse de thé. Vous avez besoin de discipline et d’un cadre pour vous rassurer. J’ai sélectionné pour vous les références qui sont à mes yeux les plus intéressantes, parmi la somme d’informations sur l’écriture qui est aujourd’hui à la disposition de tout le monde.
Je pense, parmi toutes les sources qui me sont utiles aujourd’hui pour accompagner les auteurs, à la romancière Elizabeth George. Elle décrit sa méthode dans son livre Mes secrets d’écrivain, car pour elle, « écrire (…) c’est un métier. Pour bien faire un métier, il faut savoir en manier les outils et pour cela, encore faut-il les connaître (...). Ne pas avoir de méthode vous met terriblement en danger et l’écriture cesse d’être une joie pour devenir une menace ».
Parmi les outils simples mais précieux, je retiendrai bien sûr l’incontournable schéma narratif en trois actes. Il est d’une grande aide pour dessiner les grandes lignes de votre futur roman. Il se déroule en cinq étapes : une situation initiale, un élément perturbateur, des péripéties, des éléments de résolution et enfin une situation finale. Les plus grands dramaturges, scénaristes et écrivains utilisent ces préceptes, basés sur des étapes qui tiennent en haleine tout spectateur ou lecteur : il est question de souffrance, de lutte, puis de triomphe. Cette approche permet d’envisager toute histoire comme un organisme vivant avec sa propre logique interne, en mettant de côté un fonctionnement mécanique, dénué d’âme. Le héros ou l’héroïne doit grandir, apprendre, se transformer. Les étapes sont détaillées et très bien expliquées dans un ouvrage de référence, L’Anatomie du scénario par John Truby. En résumé, l’étape 1 permet de définir les faiblesses du protagoniste, l’étape 2 fait apparaître du désir (= objectif), l’étape 3 présente l’adversaire du protagoniste, l’étape 4 est consacrée au plan du protagoniste pour atteindre son objectif, l’étape 5 permet la confrontation entre le protagoniste et l’adversaire, l’étape 6 apporte la révélation finale et enfin dans l’étape 7, le protagoniste parvient enfin à un nouvel état. L’ouvrage est dense et autant vous le dire, il n’est pas simple à lire. Mais si vous êtes motivé et visez l’efficacité, vous trouverez à travers les nombreux exemples cités une mine d’or !
J’aime également m’appuyer presque systématiquement sur le schéma actenciel. Il permet d’avoir une vue d’ensemble, de ne faire l’impasse sur aucun personnage important et de ne pas passer à côté de sa quête. C’est une autre façon, complémentaire, d’aborder la structure narrative (aussi appelée story structure). Là encore, un personnage poursuit la quête d'un objet. Les personnages qui l'aident dans sa quête sont nommés « adjuvants ». Ceux qui cherchent à l’en empêcher sont les « opposants ».
La quête est commanditée par un émetteur, au bénéfice d'un destinataire. D'une façon générale, tous les personnages qui tirent profit de la quête sont les bénéficiaires.
Enfin, la méthode du flocon de neige est une méthode de planification du roman qui part de l’idée jusqu’à la création d’un plan détaillé, scène par scène. Le créateur, Randy Ingermanson, décrit le processus dans How to write a novel using the snowflake method. Dix étapes sont segmentées pour vous permettre d’aller au bout de votre idée. L’étape 1 vous demande d’écrire votre histoire en une phrase. Puis vous allez étoffer l’intrigue en développant le résumé en cinq phrases (étape 2), avant de décrire rapidement les personnages et les lieux (étape 3), puis le synopsis court (étape 4). Ensuite, vous devrez aller plus en profondeur en détaillant encore plus vos personnages (étape 5 et 7) puis le synopsis pour avoir un document complet (étape 6). L’élaboration du plan n’arrive qu’à l’étape 8. En 9 vous faites une description narrative et enfin en 10 vous vous lancez dans l’écriture du premier jet de votre fiction.
Ces pistes ont l’avantage de permettre à l’auteur de voyager en prévoyant les étapes pour éviter les mauvaises surprises (notamment la fameuse page blanche). A vous de tester, d’adapter et de prendre ici ou là ce qui vous correspond le mieux.
Cela dit, si vous voulez faire plutôt appel à votre intuition, vous serez sûrement surpris de savoir que bon nombre d’écrivains y ont recours.
Une autre intelligence à l'oeuvre
Beaucoup d’écrivains connus et reconnus n’en démordent pas : pour eux, l’écriture est un processus automatique. Pas besoin de réfléchir des mois à l’intrigue, d’anticiper chaque scène, ni même d’envisager une suite. Elle s’imposera d’elle-même ! C’est leur secret pour éviter l’ennui et la lassitude puisque ce sont leurs personnages qui décident de presque tout. L’écrivain japonais Haruki Murakami est de cette école, tout comme Joël Dicker ou encore Stephen King. Ce sont des pantsers en anglais. La jeune romancière Mélissa Da Costa se laisse elle aussi guider par l’inspiration. Rien de mieux pour alimenter le brasier, obéir aux idées qui viennent à soi (et non l’inverse), accueillir une obsession (si une idée vient vous visiter nuit et jour, considérez que ce n’est plus une idée mais une intuition). Cela peut se produire à la suite d’un événement, en écoutant une musique, en voyant une image ou un film, au cours d’une lecture. Bref, à tout moment vous pouvez être traversé par une sorte de fulgurance que vous aurez envie de transformer pour la mettre sur papier. Il s’agit dans ce cas d’être attentif à tout ce qui se passe autour de soi et en soi. C’est une exploration qui laisse travailler le subconscient en permettant de créer des embranchements, des associations d’idées. Cela n’a rien de paranormal mais c’est une façon de stimuler sa créativité en se plaçant dans un état réceptif. L’auteur laisse galoper les idées, plutôt que de les chercher et son seul job consiste à les agencer de la bonne manière pour embarquer le lecteur dans son récit.
Cette école de l’intuition nécessite alors d’écrire sans s’arrêter, sans se relire, en gardant un rythme soutenu. Et le premier jet ne devrait pas être écrit en plus de trois mois, selon Stephen King, qui parle de son métier d’écrivain dans l’excellent livre Écriture, mémoire d’un métier.
Comment font la plupart d’entre eux pour se mettre dans de bonnes dispositions pour accueillir leur intuition dans le but de créer un monde, un univers propre à soi ? Ils se lèvent à l’aube, quand la ville dort encore… Mais si vous n’êtes pas un adepte du miracle morning, pas de panique ! L’intuition s’invite heureusement à toute heure de la journée. Seulement elle est craintive, discrète, et arrive sans fanfare. Subtile, elle se laisse désirer et demande de la patience, de l’endurance et beaucoup de persévérance. Si elle se laisse apprivoiser, avec tact et douceur, elle saura alors vous combler de cadeaux. Allez marcher dans la nature, comme le recommande Eric-Emmanuel Schmitt, ou autorisez-vous à rêver, à ne rien faire (car en fait l’esprit ne sait pas ne rien faire, il travaille autrement en recyclant des pensées, des souvenirs). Le vide créé devient ainsi un vide créateur délicieux pour tous les artistes puisqu’il est la promesse que quelque chose va arriver, que des portes vont s’ouvrir, comme la nature a horreur du vide ! Déconnecté des écrans mais connecté avec vos sensations, votre mental se branche ainsi sur une autre intelligence qui se met à l’œuvre, bien différente du raisonnement. Haruki Murakami témoigne dans son livre Profession romancier qu’il court une heure par jour d’une part pour garder un corps ferme et l’esprit clair mais aussi pour laisser de l’espace en lui pour mieux écrire ensuite et avoir tous les sens en éveil.
Méditez, relisez votre journal intime, lisez la presse, regardes vos albums photos, observez la vie des autres et leurs dilemmes. La curiosité est la clé. Ces activités, aussi diverses soient-elles, sont l’occasion de faire remonter des sensations, des images de l’inconscient. Ne sous-estimez jamais la musique du hasard.
Un subtile entre-deux, une troisième voie
Mais finalement, pourquoi se mettre dans une case et appartenir à une seule catégorie ? L’être humain est complexe, et l’artiste peut-être encore plus. Ne pas chercher à se conformer et à se formater me semble la voie la plus intéressante pour tout primo auteur qui cherche à mettre au monde son œuvre. Michel Bussi est connu pour ses histoires qui sont de véritables page-turner basées sur des intrigues compliquées à rédiger. Elles nécessitent un travail d’investigation conséquent. Cela impose une vraie discipline. Mais est-ce que Michel Bussi a raison de faire un plan et Stephen King a tort de de ne pas se poser mille questions avant d’écrire ? Bien sûr que non. Ils ont tous les deux raison !
Michelle Richmond, auteure de best-sellers et créatrice de la méthode du trombone, appartient à la catégorie des intuitifs. Ce qu’elle propose se trouve justement au carrefour des deux écoles. Il suffit de prendre des débuts d’idées, des thèmes que vous voulez traiter dans votre livre, de les imprimer et d’utiliser des trombones pour créer des associations. Et ensuite, à la façon d’un puzzle, la magie agit.
George R.R Martin, le père de Game of Thrones, l’affirme : « Je pense que tous les écrivains sont à la fois des architectes et à la fois des jardiniers, mais ils ont tendance à tendre vers un côté ou vers l’autre, et je suis certainement plus jardinier. » Vous pouvez choisir de dessiner des plans très précis de votre maison et avoir au final un bâtiment robuste et imposant, mais si aucune fleur ni aucun jardin ne vient embellir votre maison, serez-vous heureux ? Et a contrario, si vous avez un magnifique jardin verdoyant mais une maison qui s’effondre, dans quel état serez-vous ? Testez, voyez comment vous vous sentez, soyez à l’écoute de votre corps (les réponses se trouvent dans les ressentis et non dans le mental). Et dans tous les cas, visez le plaisir de l’expérience, et une fois le manuscrit écrit, soyez à l’écoute de vos bêta-lecteurs. Ils vous feront un retour précieux et c’est le seul moyen de savoir, au final, si votre propre façon de faire a fonctionné ! Pour conclure, j’ai envie de vous dire de retenir principalement une chose : il n’y a pas de méthode miracle pour réussir à écrire, seulement de l’investissement personnel et beaucoup d’empathie pour les personnages. Car ce sont eux, qui, au final, mènent la danse et procurent de l’émotion aux lecteurs.