La bêta-lecture : qui, quand, comment ?
Votre livre, vous y pensez depuis des semaines, des mois, des années. Il tourne dans votre tête, puis vous le couchez sur le papier, le relisez, le travaillez, le retravaillez… Il est modifié, modelé par votre esprit pendant longtemps, très longtemps, si longtemps que vous le connaissez par cœur. Il vient de vous, il émane de vos réflexions, de vos sentiments, vos émotions.
Alors, comment prendre du recul sur ce qu’il est réellement ? Comment savoir ce qu’un lecteur pensera quand il le lira ? Comment se mettre à sa place quand il découvrira ce texte pour la première fois alors que vous avez vécu avec pendant des mois, voire des années ?
La bêta-lecture. C’est la meilleure alternative, la seule et l’incontournable solution pour réapprendre de votre texte et en améliorer le fond, l’histoire, les personnages, que vous choisissiez de faire relire votre manuscrit par votre entourage - plus ou moins proche (le moins proche sera le mieux) - ou par des professionnels.
En tant qu’auteur, vous n’avez pas le recul nécessaire pour émettre des critiques constructives sur ce que vous avez produit. Et vous avez besoin d’un regard neutre sur votre livre, d’un regard neuf capable de voir les imperfections et les incohérences, capable de vous dire si tel ou tel personnage est assez développé, s’il manque quelque chose dans sa description physique, si la fin de votre histoire était connue depuis le début alors que vous aviez décidé de ménager le suspense, si au contraire elle ne colle pas avec l’histoire ou la personnalité du personnage principal.
En tant qu’auteur, vous ne pourrez jamais vous mettre véritablement à la place du lecteur. Vous essaierez toujours, car c’est important de le faire pour espérer être lu, mais vous n’y arriverez jamais totalement, tout simplement parce que vous êtes l’auteur et qu’il n’y aura jamais de première lecture, de première impression de votre propre texte.
Tous les manuels qui abordent la thématique de l’écriture et la publication des romans n’y pourront d’ailleurs rien non plus. Le maître Stephen King a déclaré à propos de son livre, Écriture, Mémoires d’un métier : « Ce livre n’est pas bien long, pour la simple raison que la plupart des livres qui parlent d’écriture sont pleins de conneries.Les romanciers, moi y compris, ne comprennent pas très bien ce qu’ils font, ni pourquoi ça marche quand c’est bon, ni pourquoi ça ne marche pas quand ça ne l’est pas ».
Seule une bêta-lecture vous aidera à y voir plus clair !
Mais par qui ? Comment procéder. Vous pensez à faire relire votre roman par quelques proches, des amis d’amis, des clients du voisin du cousin, pour connaître leur avis. Et c’est déjà une belle étape qui pourrait vous apporter quelques remarques constructives et quelques pistes de réflexion pour tenter d’améliorer votre texte. Mais cet exercice trouvera très vite ses limites, car vous pourriez douter, vous, des remarques des uns et des autres, plus encore, vos proches (plus ou moins proches) ne voudront pas vous froisser en critiquant trop honnêtement votre manuscrit. Et puis finalement, ils n’auront peut-être même pas le temps de s’y attarder...
La meilleure solution reste de confier votre manuscrit à des bêta-lecteurs professionnels, bénévoles ou non. Il existe en effet des personnes dont c’est le métier ou d’autres qui ont l’habitude de s’adonner à ce type d’exercice et qui se réjouissent de relire des manuscrits pour le plaisir. On les appelle les bêta-lecteurs.
Alors comment définit-on vraiment un bêta-lecteur ? C’est un lecteur (non professionnel du monde de l’édition) qui est en charge d’accompagner l’auteur dans la finalisation de son livre en lui transmettant des critiques. Il se différencie des professionnels, issus du monde de l’édition, qui proposent des services de relecture et de correction pour relever et corriger les erreurs d’orthographe, de typographie et de syntaxe ou délivrer une analyse détaillée des composants de votre manuscrit (personnages, narration, structure, dialogues…) et des axes de retravail. Le professionnel et le bêta-lecteur jouent donc deux rôles à la fois complémentaires et parfaitement distincts.
Une deuxième lecture indispensable à l'auteur
Un bêta-lecteur aide l’auteur à améliorer significativement son manuscrit. Mais pour cela, encore faut-il qu’il soit un bon bêta-lecteur. Par définition, tout « lecteur-test » est un bêta-lecteur. Oui, mais toutes les bêta-lectures n’ont pas la même incidence sur un livre : celle de votre mère par exemple vous rassurera, car elle vous dira combien vous êtes doué pour écrire, celle de votre meilleur ami aussi. Alors qu’une personne complètement neutre et impartiale, vous donnera un avis plus honnête, plus critique, plus constructif aussi.
En tant qu’auteur, il vous faut donc rechercher de parfaits inconnus motivés, connaisseurs, avec lesquels vous vous sentez tout de même assez à l’aise pour leur confier votre manuscrit et qui travaillent dans la bienveillance. Car l’idée n’étant pas non plus de voir votre texte anéanti par des remarques négatives du début à la fin du récit sans aucune piste d’amélioration possible. Le travail d’un bêta-lecteur consiste à repérer les incohérences dans l’histoire, analyser le fond du récit (l’intrigue, les personnages…), faire part de ses bons ou mauvais ressentis puis d’encourager l’auteur sur la qualité de son travail et celles que présentent son livre. En effet, dans l’exercice exigeant de la bêta-lecture, quand quelque chose est réussi, il est important de le dire aussi.
Comme nous l’évoquions un peu plus haut, il faut également que votre bêta-lecteur soit motivé à l’idée de réaliser ce travail qui requiert beaucoup de sérieux, de curiosité, de rigueur et d’investissement. Dans son Grand Roman de l’écriture, Pierre Ménard explique qu’« il n’est pas choquant de considérer qu’une heure d’écriture implique trois à cinq heures de correction ». Un auteur comme François Bégaudeau estime, quant à lui, à six ou sept le nombre de ses révisions.
Dans sa fiche de retours à l’auteur, le bêta-lecteur devra aussi utiliser les bons mots pour expliquer ce qui pourrait, selon lui, être revu. Il faut qu’il sache prendre des pincettes et fasse preuve de tact pour que votre collaboration soit constructive et vous invite à écrire à nouveau, à réécrire quelques passages, à approfondir encore votre texte.
Il n’y a pas de bonne critique sans une bonne communication. Il n’y a pas de bonne critique sans un bon argumentaire non plus. Un bêta-lecteur consciencieux sera en mesure d’écrire à chaque fois à l’auteur les raisons qui l’ont amené à faire telle remarque, telle critique et à expliquer tel ressenti.
En clair, avant de confier votre manuscrit, assurez-vous auprès de votre bêta-lecteur que toutes les CGU (conditions générales d’utilisation) sont bien comprises et seront bien respectées ! Mais justement, quelles sont concrètement les règles sous-jacentes à la relation auteur/bêta-lecteur ? Et comment se déroule une bêta-lecture ?
Naturellement, le bêta-lecteur lira le texte avec une approche différente de celle de l’auteur. Pendant sa lecture, il se posera sans cesse des questions autour de l’intrigue, des personnages, des lieux et essaiera de remettre en question tout ce qui est écrit – et non pas ce que l’auteur a voulu écrire - dans une démarche rigoureuse d’observation et de recherche. Il s’agit plus d’un travail sur le fond que sur la forme. Le bêta-lecteur sera très exigeant avec l’auteur, mais sans se mettre à sa place. Il se mettra à la place d’un lecteur, c’est ainsi qu’il aidera l’auteur. Reconnaître le talent d’un auteur est une chose, exiger du récit qu’il soit à la hauteur des exigences d’un large lectorat en est une autre. Ce sera ensuite grâce à ces avis constructifs que l’auteur pourra réécrire et améliorer son livre. C’est pourquoi, il est préférable de récolter des analyses de nombreux bêta-lecteurs (et non pas un seul), parce qu’il sera ensuite intéressant pour l’auteur de pouvoir les confronter entre elles et de noter les critiques qui reviennent le plus souvent et sur lesquelles tous semblent d’accord. Nous conseillons aux auteurs de trouver entre trois et cinq bêta-lecteurs. Au-delà, vous risquez de vous noyer sous tous les commentaires et conseils, à tel point que vous finirez par croire qu’il faut recommencer votre manuscrit à zéro. Et en deçà de cette fourchette, vous manquerez certainement de matière et d’avis pour vous décider à appliquer ce conseil et pas l’autre, etc. Avec trois à cinq bêta-lecteurs et retours constructifs sur votre roman, vous devriez être en mesure de connaître précisément les forces et faiblesses de votre livre.
Ce travail enrichira les connaissances du bêta-lecteur et pourra lui servir en tant qu’auteur mais aussi pour ses futures bêta-lectures. Car il sera de plus en plus efficace et saura aussi mieux aiguiller les auteurs. La romancière Roxane Dambrea publié un manuel Deviens le bêta-lecteur de l’année !, qui regorge de conseils à destination des bêta-lecteurs en quête de méthodes et donne des pistes de réflexion pour les auteurs à la recherche de bons bêta-lecteurs.
Trouver des bêta-lecteurs
Avant de savoir où chercher, demandez-vous si c’est le bon moment pour confier votre texte. Nous vous conseillons de vous relire plusieurs fois afin de chasser les fautes grossières ou incohérences évidentes que vous trouverez par vous-même. Ainsi, vous ferez également gagner un peu de temps à vos bêta-lecteurs. Puis, lorsque vous estimez que votre manuscrit est suffisamment abouti, présentez-le, jetez-vous dans le bain, osez et préparez-vous à recevoir la critique. Elle est souvent belle et constructive.
Mais comment faire, par où commencer ?
Dans un premier temps, vous trouverez de nombreux forums de passionnés de lecture et de livres, des lieux numériques accessibles gratuitement qui facilitent l’échange entre auteurs et lecteurs. Une simple inscription et vous serez prêt à être lu et critiqué par votre nouvelle communauté. Mais en empruntant ce chemin, vous tomberez parfois sur une perle rare qui effectuera un travail remarquable et d’autres fois, malheureusement plus nombreuses, vous tomberez sur un lecteur fournissant un retour incohérent et finalement contre-productif pour vous. Il vous appartient de savoir si vous pouvez faire confiance aux personnes inscrites sur ces plateformes gratuites.
Dans tous les cas, nous vous conseillons d’échanger assez longuement avec chaque bêta-lecteur avant de confier votre manuscrit. Par ailleurs, les différents modérateurs des forums vous interdiront de soumettre votre roman tant que vous n’avez pas vous-même fait vos preuves en tant que bêta-lecteur. Une fois chose faite, vous pourrez soit poster directement un court extrait de votre manuscrit que vous souhaitez voir analyser par d’autres membres, soit poster un message expliquant brièvement le résumé de votre histoire. Pour un pitch très court, nous vous donnons des conseils lors de la présentation de votre manuscrit sur Édith & Nous. Pour un résumé un peu plus long, vous pouvez retrouver notre article expliquant comment faire un bon résumé. N’oubliez pas de préciser le public visé par votre livre, c’est une information importante pour le bêta-lecteur.
Dans le même genre, il existe aussi de nombreux groupes Facebook dédiés. C’est exactement le même principe, il n’y a que le lieu d’échanges qui diffère. Sur ce réseau social, la limite de caractères vous obligera à faire bref. Vous pourrez bien entendu échanger plus en détail en message privé une fois que vous aurez trouvé un volontaire.
Vous pouvez également faire appel à une compagnie ou à un collectif de lecteurs. Vous aurez ainsi l’assurance de vous faire relire par des passionnés compétents qui sont parfois eux-mêmes auteurs et sont très expérimentés en la matière. C’est le cas par exemple de la Compagnie de Lecteurs et d’Auteurs (CLéA) qui a développé sa propre méthodologie de relecture de textes fondée sur l'expérience et le savoir-faire d’animateurs d’ateliers d’écriture et de professionnels de l’édition. Le collectif compte aujourd’hui 85 lecteurs capables d’apporter un regard extérieur et croisé sur le texte d’un auteur. Chaque manuscrit est en effet relu par trois lecteurs qui rédigent ensemble une note commune.
L’après lecture
Ça y est, vous avez reçu les différents retours de vos bêta-lecteurs, vous les avez remerciés et avez prévu de les mentionner dans la page de remerciements de votre livre. Maintenant, c’est le moment de lire les critiques, de les étudier, de les confronter, de faire vos choix, de vous demander comment vous pourriez arriver à ceci ou à cela.
C’est une importante remise en question qui commence. Les lecteurs ont pointé du doigt des faiblesses, des forces, des qualités et des défauts. C’est sur les points négatifs en particulier qu’il faudra vous concentrer. Il y aura aussi des remarques qui auront été finalement signifiées une fois ou deux seulement et avec lesquelles, même en y réfléchissant bien, vous n’êtes pas tout à fait d’accord. Il est possible qu’après réflexion, vous décidiez de ne pas prendre en compte l’une d’entre elles.
Quoiqu’il en soit, même en faisant appel à des professionnels, un bêta-lecteur ne pourra vous donner que son avis. Aussi honnête et sincère soit-il, il n’en reste pas moins que ce n’est qu’un avis avec sa part d’objectivité et de subjectivité. Il se peut aussi qu’il soit passé à côté de tel ou tel élément de l’histoire, que d’autres auront vu, ressenti et interprété. Libre à vous de modifier un passage, d’en laisser d’autres. N’oubliez pas que c’est de votre livre dont il s’agit et que c’est à vous que revient le dernier mot.
Une fois votre texte remanié ou réajusté, vous pouvez tout à fait soumettre à nouveau les changements effectués à vos bêta-lecteurs pour recueillir leur avis. Échangez le plus possible avec eux. C’est aussi l’occasion de leur poser des questions plus détaillées sur d’autres points, des interrogations ou des doutes que vous auriez, qui n’auraient pas été évoqués par vos bêta-lecteurs et à propos desquels vous souhaiteriez connaître leur avis. Assurez-vous bien de les interroger sur la crédibilité des personnages, leurs descriptions, l’originalité de l’histoire, la cohérence des évènements, le rythme du récit, l’incipit (premières lignes et premières pages d’un roman), la fin, ce qu’ils ont le plus aimé, ce qu’ils aiment moins, etc. Puis avec l’expérience emmagasinée au fil des retours, vous nourrirez vous aussi peut-être l’envie d’aider vos confrères et de procéder à des bêta-lectures. Vous serez alors bien placé pour donner des conseils avisés.
Pour aller encore plus loin, vous pouvez même transmettre la nouvelle version de votre roman à un correcteur et/ou un relecteur professionnel. L’association d’un professionnel et d’un panel de bêta-lecteurs vous permettra de franchir un cap par rapport au premier jet de votre livre.
Vous pourrez ensuite choisir de vous autoéditer et/ou de présenter votre manuscrit aux éditeurs partenaires de la plateforme Édith & Nous. En effectuant ce travail avec des bêta-lecteurs et/ou des professionnels, vous optimiserez vos chances d’attirer l’attention des éditeurs actifs sur la plateforme !